20 mars 2018

Un point sur l'activité du volcan Ambrym (Vanuatu)

Cela fait déjà un long moment que je n'ai pas parlé d'Ambrym sur le blog, en fait depuis la phase d'éruption latérale qui avait ennoyé une partie de la caldera au sud du cône Marum en février 2015.
Toutefois cela fait déjà un moment que je regarde de plus près l'activité sur Ambrym car en août 2017 le Géohazard avait élevé le niveau d'alerte à 3, justifié par des "changements importants de l'activité" , termes employés dans le bulletin d'août 2017, sans que les changements en question n'aient, malheureusement, été explicités (sismicité? activité éruptive? les deux?).
Quoi qu'il en soit cette alerte m'avait incité à focaliser une partie de mon attention sur ce volcan des Vanuatu, l'un des plus actifs du monde. Mais rien de particulier ne s'est produit et le niveau d'alerte est repassé à 2 en décembre 2017. Toutefois, en m'intéressant de plus près à cet édifice, j'ai pu constater que de menus changements ont eu lieu au cours des trois années qui nous séparent maintenant de l'éruption fissurale de 2015.  J'ai donc souhaité faire un point.

Mais avant d'aller plus loin il me semble important de faire une présentation, non exhaustive je préfère prévenir, du volcan Ambrym, car on peut rapidement se perdre dans les dénominations des cratères qui en constituent la topographie.

Ambrym: quel type de volcan?

L'île d'Ambrym n'est que la partie émergée d'un édifice volcanique dont la base est sous-marine. La hauteur de la partie émergée est de 1334 m mais la plus grande largeur de l'île est d'environ 45km: les pentes sont donc faibles (moins de 3% en moyenne). La majeure partie des laves qui constituent l'île sont des laves fluides (basaltes ou proches) et, par ailleurs, l'édifice tout entier est découpé de longues zones de fracturation (Rift Zones) qui passent par le sommet et se poursuivent sous l'eau au large des côtes est et ouest. Ces zones de fractures résultent des contraintes mécaniques que subit l'édifice en raison des forces tectoniques régionales.
Pentes faibles (dues à l'accumulation de coulées de laves fluides) et rift-zones: voilà deux caractéristiques de ce que l'on appelle "volcan-bouclier".


Toutefois l'histoire de la construction de cette île n'est pas si simple car il y a 1900 ans environ une très puissante activité explosive plinienne s'est déroulée, produisant d'importants écoulements pyroclastiques. La composition de la lave qui a été libérée lors de cette éruption est loin des basaltes: c'est une dacite, lave très visqueuse qui constitue souvent en partie les stratovolcans, en particulier ceux que l'on trouve dans les zones de subduction. Le résultat de cette épisode serait* la formation d'une vaste caldera, large de 12 km, qui éventre le sommet.
Ambrym est donc essentiellement un volcan-bouclier, construit parce que le magma formé en profondeur est fluide et généralement libéré avec peu de transformations, sous la forme de coulées et de fontaines de lave. C'est aussi ce magma fluide que l'on voit lorsqu'on regarde les lacs de magma (je vais y revenir) qui caractérisent l'activité éruptive sur ce volcan depuis des années. Mais une partie de ce magma peut parfois avoir le temps d'être stocké et subir une série d'évolutions qui l'amène à devenir une dacite plus visqueuse: elle est alors libérée par des phases éruptives plus explosives.


L'île volcan d'Ambrym, ses rift-zones et sa caldera.


Ambrym: quelle activité éruptive?

Après la violente phase explosive (et la formation de la caldera?) il y a 1900 ans environ, l'activité éruptive a repris avec un magma fluide. Pour l'essentiel, il est sortit dans la caldera, formant des cônes et des coulées de lave. Les principaux cônes qui trônent dans la caldera ont pour nom Bembow, Marum, Marumiglar et Lembolebwi.

Cependant il ne faut pas oublier que l'édifice tout entier est découpé par des Rift-Zones qui peuvent, parfois, guider une partie du magma et lui permettre de faire éruption en dehors de la caldera, sur les pentes. L'éruption de 1913 par exemple (comme celles de 1896,1929 et 1937 d'ailleurs), fut marquée par une activité plinienne suivie de l'ouverture d'une fracture dans la caldera, qui s'est propagée ensuite sur la rift zone ouest: le magma a jaillit en de nombreux points de la rift-zone, jusqu'à quelques centaines de mètres de la rive, au large. Sur l'île les habitants, installés près des côtes, ont donc été menacés:
- côté terre par les coulées de lave qui ont pu atteindre la mer
- côté mer où une partie du magma sortait sous l'eau et générait des explosions phréatomagmatiques violentes: vous imaginez le tableau!

Ce qui est surveillé ce sont évidemment les signes précurseurs de ces activités hors caldera, puisque cette dernière est inhabitée: tout l'activité qui s'y déroule ne pose que peu de dangers immédiats aux populations de l'île, qui habitent plutôt près des côtes et sont surtout soumises aux pluies acides (ce qui est est un problème sur le moyen et long terme), mais peu poser problèmes pour les touristes qui la visitent de plus en plus. 
La carte de risques élaborée par le Geohazard et ses partenaires institutionnels est d'ailleurs claire sur le rôle des rifts-zone dans l'activité volcanique possible sur cette île, et les risques associés.

La carte de risques d'Ambrym: on voit (en gris) les zones  à risques liées aux rift-zones. Image: Vanuatu Geohazard Observatory


Concernant l'activité dans la caldera, c'est là que les choses se corsent au niveau de la toponymie, car l'activité se déroule dans plusieurs évents distincts:

1- Dans le cratère du cône Benbow il y a actuellement deux évents. Le principal contient un lac de magma, bien connu maintenant des touristes. L'autre évent (pas de nom particulier à priori) contient lui aussi un petit lac de lave, mais enfoncé dans un puit il reste difficile à observer, sauf sur les images satellites, où il se distingue bien.

2- Dans le cratère du cône Marum, plusieurs évents sont actifs où l'ont été ces dernières décennies:

- le cratère principal est appelé Mbwelesu: c'est lui qui contient le lac de magma que l'on peut voir sur les photos qui circulent sur le web.

- deux autres cratères se trouvent juste à l'ouest du Mbwelesu mais ne sont pas nommés sur les cartes. Ce sont peut-être ces deux évents, situés dans un cratère qui touche le Mbwelesu, qu'on trouve sous la dénomination "Marum" dans les rapports des années 70-80...**

- au sud-ouest du Mbwelesu se trouve un cratère plus petit appelé Niri Mbwelesu.

- encore au sud-ouest du Niri Mbwelesu se trouve un autre cratère, allongé: le Niri Mbwelesu Taten, aussi appelé parfois Mbogon Niri Mbwelesu. Il se trouve sur une ligne de fracture qui, à la fin des années 80, a produit un champ de coulées de lave: c'est lors de cette éruption que ce cratère est apparu.

Pour faire simple: Mbwelesu, Niri Mbwelesu et Niri Mbwelesu Taten sont alignés du nord-nord-est au sud-sud-ouest, comme on le voit sur la carte ci-dessous.

Les principaux cônes construits dans la caldera d'Ambrym. Image: origine inconnue, via Global Volcanism Program

Ambrym: d'où vient le magma qui fait éruption?

Des études visant à mieux comprendre le système d'alimentation magmatique qui construit Ambrym ont été menées ces dernières années.  Elles sont basées sur la géochimie des laves émises, c'est-à-dire non seulement sur leur composition chimique (quels atomes/ions, quelles molécules s'y trouvent et à quelle concentration) mais aussi minéralogique (quels types de minéraux sont présents et leurs caractéristiques). C'est une approche qui permet de contraindre le cheminement que les magmas ont effectué avant de faire éruption,  d'avoir une idée de la roche source qui produit ces magmas, et de pouvoir suggérer quels types de phénomènes et de transformations (évolutions) le magma a subit entre sa source et son éruption.

Déjà la composition des magmas d'Ambrym indique clairement que la roche qui fond pour les produire est celle du manteau terrestre. Par ailleurs Ambrym, tout comme Ambae situé plus au nord, ont pour point commun d'être allongés d'ouest en est (à  cause des rift-zones), le long de très importantes failles tectoniques régionales, elles-même produites par la zone de subduction qui se trouve plus à l'est. Or ces failles semblent faciliter la remontée du magma produit dans le manteau qui, du coup, n'a pas le temps d'assimiler les roches de la croûte terrestre sur laquelle Ambrym (et Ambae) s'est construite: peu de contamination du magma donc qui, en plus remonte rapidement grâce aux failles.

Par contre les chercheurs ont pu observer des différences significatives entre les lave émises dans la caldera, et celles émises hors de la caldera.


En effet les recherches semblent indiquer que les magmas qui font éruption dans ou hors de la caldera sont, quoi qu'il arrive, d'abords passés par une étape de cristallisation partielle***, qui se déroule entre 4 km et 20 km de profondeur, dans la plomberie qui permet au magma de remonter.

Mais arrivés vers 5 ou 4 km de profondeur ils peuvent suivre deux chemins différents:

- soit le magma légèrement transformé (cristallisé) continue de monter vers la surface: là il se mélange alors avec des magmas plus anciens et stockés dans l'édifice volcaniques (sills, dykes etc) et c'est ce mélange qui fait éruption dans la caldera (les lacs de lave du Benbow et du Marum, ou la lave de l'éruption de 2015 par exemple). Le magma qui forme les lacs de lave est donc issu d'un mélange de magmas différents, et c'est ce même mélange de magmas qui sort au Benbow et au Marum.

- soit le magma légèrement transformé bifurque vers 5-4 km de profondeur et part dans l'une ou l'autre des Rift-Zone où il ferait éruption (éruptions de 1896, 1913 , 1929 et 1937). 

Cette hypothèse n'est pas encore confirmée car malheureusement les laves des 4 éruptions de flanc (1896, 1913, 1929 et 1937) n'ont pas (encore) été analysées mais si cela se confirmait, il y aurait alors des similitudes importantes entre le système d'alimentation qui produit l'Etna et celui qui produit Ambrym.

Le système de plomberie magmatique, tel que supposé par les recherches en géochimie sur les laves d'Ambrym. Image: C.Firth et al, 2016

Maintenant que toutes ces généralités sont posées, revenons à la situation actuelle.
Pour l'heure, comme je le disais au début, vu de l’espace il ne se passe rien de différent de ce qui est une situation normale, ce qui est en accord avec le niveau d'alerte 2 décidé par le VGO (Vanuatu  Geohazard Observatory).
Avant l'éruption fissurale de 2015, les images satellites montraient clairement que l'activité éruptive se déroulait dans les deux évents du Benbow (2 lacs de lave), dans les deux évents à l'ouest du Mbelesu, dans le Mbelesu lui-même (lac de lave) et dans le Niri Mbwelesu. 

L'activité éruptive était répartie sur plusieurs évents avant la phase  de février 2015. Image: LANDSAT8-NASA/USGS

Je ne reviens pas sur l'activité de février 2015, marquée par l'ouverture d'une fissure éruptive non loin, et au sud-est, du Marum et des coulées de lave dans la caldera qui en ont été vomies car j'avais déjà décrit tout cela à l'époque. Mais suite à cette phase plutôt courte, l'activité n'a que peu changé au Benbow et au Marum: les seules différences remarquables sont:
- l'extinction de l'activité dans l'un des deux évent à l'ouest du Mbwelesu
- la présence de deux évents distincts dans le Niri Mwbelesu

Pour le reste, l'ouverture de la fissure ne semble avoir eu aucun impact visible depuis l'espace.

Quelques changements mineurs après la phases de février 2015.  Image: LANDSAT8-NASA/USGS

Le reste de l'année 2015 se déroule sans évolution importante dans les sites d'activité, même si au cours du second semestre, le signal thermique produit par le Niri Mbwelesu est plus faible et qu'on peut noter , en octobre 2015, un très très très léger signal thermique dans le Niri Mbwelesu Taten.

La situation en octobre 2015. La petite nouveauté: un faible signal thermique dans le Niri Mbwelesu Taten. Image: LANDSAT8-NASA/USGS

L'année 2016 va commencer plus sobrement, car entre novembre et janvier, l'activité cesse dans le Niri Mbwelesu et le Niri Mbwelesu Taten. Et cette situation plus "calme" va durer  tout le premier semestre. L'activité dans le Niri Mbelesu ne réapparait sur les images satellites qu'entre juin et octobre 2016: le moment précise de son retour n'est pas identifiable car il n'y a aucune image satellites qui soit assez libre de nuages au cours de cette période. En tout cas, à la fin de l'année 2016, la situation est redevenu semblable à celle de fin 2015, et va le rester tout au long de l'année 2017.

En mai 2017 le niveau d'alerte est élevé à 2, puis passe à 3 en août 2017 en raison de modifications, probablement dans la sismicité enregistrée. Toutefois même pendant cette période d'instabilité l'activité vue de l'espace ne montre aucune changement particulier: pas de nouveaux évents actifs, rien dans la caldera: la situation éruptive  reste globalement normale et la crise semble donc se dérouler avant tout dans la plomberie. Malgré tout quelques émissions de cendres ont été observées au Marum en novembre, mais il est difficile de dire à quoi elles sont dues: activité explosive ou effondrements de parois dans le lac?

Émission de cendres depuis l'un des évents du Marum, très probablement le Mbwelesu. Image: Vanuatu Geohazard Observatory

Mais bien que cette crise soit calmée, et que le niveau d'alerte ait été repassé à 2*** en décembre 2017, on peut noter depuis le début d'année 2018 le retour d'une activité dans le Niri Mbwelesu Taten,  source d'une signal thermique bien plus intense, et stable dans le temps, que celui faible et éphémère d'octobre 2015. 

L'activité le 10 mars 2018. Image: SENTINEL 2-ESA/Copernicus

Seule une observation directe permettrait évidemment d'avoir des détails de ce qui s'y déroule, mais c'est en tout cas un site où l'activité éruptive est plutôt rare. Et comme ce cratère se trouve sur une zone fracturée (la Rift-Zone) on peut se poser légitimement la question suivante: y a-t-il un lien entre la crise de mai-décembre 2017 et le retour d'un signal thermique dans le Niri Mbwelesu Taten?

La situation reste très étroitement surveillée car, comme précisé plus haut, la crainte reste le départ d'une activité hors caldera, dont on ne connait pour le moment pas vraiment les signes précurseurs puisque les dernières phases de ce type se sont produites à une époque où la surveillance sur l'île n'existait tout simplement pas.

Elle est suivie par le Vanuatu Geohazard Observatory, qui rappelle systèmétiquement qu'il y a des zones interdites d'accès, et des zones de danger autour du Benbow et du Marum.

Les restrictions d'accès autour du Benbow et du Marum. Image: Vanuatu Geohazard Observatory

Sources: Vanuatu Geohazard Observatory; SENTINEL2-ESA/Copernicus; LANDSAT 7 et 8 NASA/USGS; 
"Variable Conditions of Magma Storage and Differentiation with Links to Eruption Style at Ambrym Volcano, Vanuatu"; C.Firth et al, Journal Of Petrology, 2016.


* je dis "serait" car l'origine de cette caldera n'est, en fait, pas tranchée clairement: il semble que le volume du dépôt de dacite soit bien trop faible par rapport au volume de la caldera.

** le problème ici étant que j'ai l'impression que Marum désigne parfois, dans les rapports du GVP ou autres, soit le cône entier (toponymie officielle), soit le Mbwelesu seul, qui n'est qu'une partie du Marum.

*** seule une partie du magma formé dans le manteau forme des cristaux (se solidifie)

**** qui n'est, tout de même, déclenché que lorsque l'activité présente des signes d'instabilité par rapport à l'activité habituelle. Niveau 2 ne veux donc pas dire"ok, c'est cool: on est qu'à 2 sur 5", mais plutôt: "oulà: ça semble cool pour le moment mais méfiance, ça peux changer rapidement"

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