30 avril 2018

Le volcan Ticsani (Pérou) sous surveillance accrue

Ce volcan Péruvien, peu connu du grand public (voire totalement inconnu), est l'objet de nombreuses attentions ces dernières années car il montrent certains signes qui font dire, dans un article publié le 28 avril par les volcanologues de l'OVS (Observatorio Volcanologico del Sur) [un observatoire de l'IGP (Instituto Geofisico del Perù), NDLR] qu'une éruption pourrait avoir lieu sur ce massif à moyen-long terme. Je me suis donc dit qu'il serait intéressant d'aller faire un peu connaissance avec ce massif, au cas où.


Les généralités, géologiques ou non.

Le Ticsani est un massif volcanique situé dans la Sierra Péruvienne, zone de reliefs importants et de hauts plateaux, sculptés par les forces tectoniques, les éruptions volcaniques et l'érosion. Cette Sierra est, tout simplement, une partie de ce qu'on appelle "cordillère des Andes". Il est situé plus précisément au sud du pays, non loin du lac Titicaca, situé à seulement 134 km au nord-est, et de la frontière avec le Chili et la Bolivie, voisin. Le point qui marque cette triple frontière se localise par un petit village logiquement appelé "tripartito" ("le point triple" ou " les trois parties"), situé à 150 km environ au sud-est du Ticsani. Le volcan se trouve en outre à environ une soixantaine de kilomètres d'un centre urbain important: Moquegua, qui comptait en 2007 plus de 170 000 habitants.

Cet édifice fait partie de ce que les volcanologues appellent les "volcans polygéniques" ("construit en plusieurs fois"), des édifices volcaniques dont la construction se déroule sur un temps long (dizaines-centaines de milliers d'années au moins) et en plusieurs étapes, chacune marquée par toute une série d'éruptions diverses (faibles, fortes, modérées, effusives, explosives, extrusives, mixtes etc,) et parfois (relativement souvent visiblement) par des phases de destructions importantes: les avalanches de débris, dont les causes peuvent être variées, ou la formation de calderas suite à de très violentes phases explosives. Le relief qui résulte de cette histoire volcanique a souvent une morphologie complexe, voir très complexe. C'est le cas du Ticsani.

Ce volcan s'est édifié sur des roches bien plus anciennes:

- des laves et sédiments Crétacé moyen-Crétacé supérieur, déposés là alors que l'Afrique était à peine séparé du continent sud-Américain (quelques centaines de kilomètres seulement entre les côtes à l'époque). A ce moment là de l'histoire de la Terre, un bras de mer arrive du nord et recouvre une partie de ce qui est aujourd'hui le territoire Péruvien. Ces sédiments sont situés bien plus bas en altitude qu'aujourd'hui et, surtout, ils se localisent durant le Crétacé à environ 2000 km à l'est de leur position actuelle (et oui: les continents bougent).

Près de 2000 km séparent la position des dépôts Crétacé au moment où ils se sont formés de leur position actuelle. Image: Google Earth & Global Paleogeographic Reconstruction
  
- des sédiments issus de l'érosion de reliefs au cours du paléogène  (entre 66 et 23 millions d'années), phase marquée par une tectonique intense qui soulève les roches (dont les dépôts ci-dessus cités) et ainsi provoque leur érosion. Pendant ce temps le continent sud-américain se déplace vers l'ouest et s'approche de sa position actuelle (les dépôts en question se forment à quelques centaines de kilomètres "seulement" à l'est de leur position actuelle).

Au cours de l'Eocène (époque du Paléogène) le Continent Sud Américain est déjà plus proche de sa position actuelle. Image: Google Earth & Global Paleogeographic Reconstruction

- des roches volcaniques de type "ignimbrites", produites de par de violentes éruptions explosives, datées du Miocène moyen (15 à 11 millions d'années). Le continent sud-américain est alors très proche de sa position actuelle.

Au cours du Miocène de violentes éruptions explosive se déroulent non loin de là où se trouve le Ticsani aujourd'hui. A l'époque le Contient sud-américain est encore à un peu plus à l'est que sa position actuelle. Image: Google Earth & Global Paleogeographic Reconstruction

En ce qui concerne le Ticsani, dont la construction est bien plus récente que les roches sur lesquelles il repose et dont je viens de faire le résumé, les volcanologues séparent le massif en deux entités, appelées:

- Le "Ticsani ancien": constitué de coulées de lave anciennes, de dépôts de cendres liées à des éruptions explosives, notamment des ignimbrites. Sa construction démarre au pleistocène inférieur, (vers 2.5 millions d'années) et se termine par un importante avalanches de débris. Une partie de l'édifice s'effondre vers l'ouest et ces dépôts se retrouvent sous diverses formes  jusqu'à l'océan Pacifique.

- Le "Ticsani Moderne", constitué de 4 dômes de lave imposants, dénommés "DX"- "D1"-"D2"-"D3" dont la construction a été accompagnée par de violentes phases explosives responsables de la mise en place de dépôts d'écoulements pyroclastiques et de chutes de cendres et ponces assez étendus. Le dépôt le plus récent qui ait été reconnu n'est pas daté avec précision, mais il recouvre le dépôt de cendres produit par l'éruption du volcan voisin Huaynaputina, en 1600. Cette ultime éruption au Ticsani a donc eu lieu il y a moins de 400 ans et a ouvert un cratère (appelé C1) dans lequel a grandit le dôme D3. Les analyses des dépôts


L'image Google Earth ci-dessus a été annotée par votre serviteur: j'ai juste ajouté la cicatrice d'avalanche qui éventre le Ticsani Ancien et les 3 principaux dômes du Ticsani Moderne. Image: Google Earth

La situation actuelle

Depuis 2014 les volcanologues de l'OVS détectent sous le massif du Ticsani des secousses sismiques qui, parfois, se produisent en "tirs groupés", ce qu'on appelle des "essaims sismiques". Ces secousses sont d'origine volcano-tectoniques, c'est-à-dire qu'elles sont liées à de la fracturation de roches sous l'effet de mouvements de magma et/ou de la circulation de fluides divers à haute pression-haute température. Des secousses purement tectoniques (fracturation des roches seule) sont aussi rapportées. Ces secousses se produisent à une profondeur assez importante: entre 8 et 12 km, et l'ensemble des 76 essaims de secousses recensés ces 4 dernières années se sont produits le long d'un axe assez précis, qui vas du nord-ouest au sud-est.

Ceci suggère que la cause de cette sismicité, interprétée par les volcanologues comme la remontée d'une masse de magma, cause des contraintes mécaniques importantes sur une zone déjà fracturée, mais où les fractures sont orientées nord-ouest sud-est. Cette sismicité est toutefois plus importante côté sud-est que côté nord-ouest de cet axe, ce qui suggère que le magma se mettrait en place plutôt sous cette zone.  L'analyse de la sismicité a amené les volcanologues de l'OVS a supposer qu'au moins 4 millions de m3 de magma se sont déplacés depuis 2014.

Une vue de dessus du massif. Les points rouges localisent les secousses enregistrées sous le volcan: on voit qu'elles se produisent le long d'un ligne orientée Nord-Ouest Sud-Est, qui marque probablement la présence d'une zone fragile, fracturée (faille ou réseau de failles) mise en tension par les mouvements de magma. Image: OVS/IPG

La présence de ces essaims de secousses ne sont pas les seuls indices qui permettent aux volcanologues Péruviens de supposer qu'une éruption peut démarrer dans un futur pas trop éloigné: depuis 2014 la température des fumerolles, qui sont présentes en permanence sur le massif, n'a cessé d'augmenter, lentement (1.2 °C par an en moyenne) mais sûrement. Ceci suggère qu'une petite partie des fluides qui s'échappent peut-être du magma, ou alors que la mise en place de magma déstabilise progressivement une partie du système hydrothermale de l'édifice.

Et le magma? On peut supposer qu'il est visqueux car on ne trouve pas de traces de coulées de lave récentes. Seules des éruptions explosives assez intenses accompagnées de la formation de dômes de lave sont répertoriés. 

Et pour la suite?

Ben c'est là que c'est difficile à dire. Le rôle des volcanologue n'est pas de prédire ce qu'il va arriver, mais d'essayer, sur la base des données géologiques/volcanologiques disponibles, qui consistent à étudier les événements passés (les dépôts des éruptions qui ont déjà eu lieu) et à analyser les signaux actuels (sismicité, fumerolles etc), d'élaborer divers scénarios afin que les autorités puisse préparer des réponses adaptées à chaque situation.

Ainsi l'analyse des dépôts produits au cours des 11 000 dernières années montrent que les éruptions explosives ont été modérées-fortes à intenses, allant des VEI 2 à 4. Les dépôts laissés par les éruptions sont épais dans un rayon de 10 km, allant de 10 à 40 cm!  Mais comme les cendres sont transportées par le vent, les secteurs affectés par l'éruption dépendrons du vent qu'il y aura à ce moment-là, et les chutes de cendres peuvent être assez importantes jusqu'à plusieurs dizaines de kilomètres. Ces éruptions du passé sont souvent classées comme sub-pliniennes (comparables à celle du Kelut en 2014). Elles ont souvent produit des écoulements pyroclastiques qui se sont déplacés jusqu'à plusieurs kilomètres autour de l'évent éruptif, et des coulées de boues (lahars) qui peuvent, elle, descendre très loin du fait de la topographie (présence de ravines qui canalisent les flux de boue).

En cas d'éruption le risque semble donc très important dans un rayon de 10 km autour de l'évent éruption puis il diminue et se concentre dans les vallées, qui canalisent les écoulements pyroclastiques et les coulées de boue.

Pour l'heure, aucun signe précurseur fort n'a été détecté et les volcanologues attendent de voir si une déformation apparait, si la sismicité s'accentue et/ou se rapproche de la surface. Mais d'ores et déjà ils ont demandé aux habitants des villages situés dans la zone à risque élevé, (Carumas, Calacoa, Soquezane, Cuchumbaya, Quebaya, Sacuaya) de se ternir informés de l'évolution de la situation dans les mois qui arrivent, au cas où.

Sources: OVS/IPG
"Geologìa, historia eruptiva y evaluaciòn de Peligros del Volcàn Ticsani (Sud del Perù) ", J-M Salazar et J-C Thouret; Boletín Sociedad Geológica del Perú, Vol. 95, 7-31

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